Chap 9. 1947-1949 : La géniale 356.

La première victoire en compétition d'une Porsche, en l'occurrence la n°l, date du 11 juillet 1948. Il s'agissait d'une course locale (Innsbruck) et le pilote était Herbert Kaes, cousin de Ferry. Souvenons-nous que Louise Kaes, (1878-1959) était l'épouse de Ferdinand. Cette victoire suivait de peu la présentation officielle de la N° l au Grand Prix de Suisse à Berne. L’objectif qui était de faire connaître la renaissance de Porsche avait été rapidement atteint grâce aux deux Suisses déjà cités : Le premier, Rupprecht von Senger, homme d'affaires zurichois, était déjà avant la guerre un grand admirateur du Professeur Porsche. Il fut heureux de le retrouver à Gmünd et eut certainement un rôle important dans le financement des deux premières 356. C'est lui qui conseilla à son ami Bernhard Blonk d'investir dans la jeune firme et de devenir distributeur exclusif des voitures Porsche, ce qu'il resta jusque 1951. Ces Suisses fournirent non seulement les fonds nécessaires ou lancement de la fabrication des 356, mois s'occupèrent de la fourniture de certaines pièces mécaniques VW introuvables en Autriche en cette période d'après-guerre. En effet, bien que Porsche ait signé dès 1948 un contrat avec Nordhoff pour la livraison des pièces VW il ne deviendra effectif qu'en 1950. Les Porsche durent entre-temps se fournir chez AMAG, l'importateur VW Suisse. Von Senger et Blank commandèrent aussi les premières 356/2.

le châssis roulant de la 356/2 photographié à Gmünd à l'endroit même où il a été achevé (août 1948)

La construction de la vraie 356 fut prodigieusement rapide. Les premiers plans de la 356/ 2 (que dès maintenant nous appellerons simplement 356) ont suivi de quelques mois ceux de la N° l. La première carrosserie, un Coupé appelé "Sport-Limousine", était finie à peu près en même temps que la N° 1. La date exacte n'est pas connue, mois elle a été vue le 7 juillet 1948 (et homologuée le 7 août) et on sait que le même mois Ferry avait déjà commandé des prospectus à une imprimerie viennoise. Ce premier catalogue présentait deux modèles: un Coupé et un Cabriolet. Aucune voiture ouverte autre que la N° l ne sera fabriqué à Gmünd, les carrosseries des cabriolets seront faites en Suisse (chez Beutler) et à Vienne (chez Keibl, Tatra, etc ... ) . Si ces carrossiers ont suivi grosso modo les dessins de Komenda, ils n'en ont pas moins fait preuve d'originalité pour la forme des ailes arrière et du pare-brise. Néanmoins, Porsche n'acceptait les modifications au dessin original qu'après vérification. Conradt raconte dans le dernier Christophorus que Ferdinand et Komenda se sont rendus chez Beutler en 1948 pour voir le premier cabriolet 356. Lors du trajet effectué dans la Cox de Beutler, le Professeur commença à être énervé par la conduite lente du Suisse. A la fin, il craqua et exigea de prendre le volant. Le commentaire de Beutler nous est connu: "il conduisait comme un sauvage".
La période Gmünd de Porsche reste encore très mystérieuse et pourrait le rester toujours.
Des débuts en 1947 au déménagement à Stuttgart en 1949, les bâtiments en planches ont conservé leur côté rustique, mais l'outillage s'est progressivement complété et le nombre d'ouvriers a continuellement augmenté pour atteindre 300 en 1949.

Ferry Porsche (à droite) à côté de la première vraie 356. La voiture est très proche des versions ultérieures. Le motif décoratif de 1'avont dit " art-déco ", variera d'un exemplaire à l'outre.

Le nombre de voitures fabriquées, cabriolet compris, doit être voisin de soixante (officiellement 52 à 63 d'après Jacques Mertens). Quel que soit le chiffre exact, il est tout bonnement prodigieux quand on pense que l'exiguïté des ateliers forçait les carrossiers à travailler à l'extérieur dans des champs où passaient des vaches. Toutes les voitures étaient essayées sans carrosserie dans les routes de montage avoisinantes et c'est souvent en conduisant un châssis portant des sièges en bois que, le week-end, Ferry regagnait le domicile familial à Zell am See.
Avec la N° 1, une production en série était difficile à envisager, même à Gmünd. Il fallait trouver plus simple et la création d'une sorte de "VW-Sport" était une solution pleine de bons sens. Il n'était toutefois pas question de créer un coupé basé sur le châssis de la Cox. Celui-ci était une simple plate-forme renforcée à l'avant et à l'arrière par les tubes transversaux contenant les barres de torsion. C’était une conception simple réalisée dans le seul but de réduire le prix de revient. Souvenons-nous des impossibles 1 .000 DM exigés par Hitler. Remplacer ce châssis plate-forme par quelque chose de plus rigide était possible, sans avoir recours à une structure tubulaire, légère mais encombrante. Il suffisait de renforcer la plate-forme par des éléments creux, en fait des caissons, dont la disposition judicieuse permettait d'obtenir un châssis très rigide. D'autant plus qu'il était, comme sur la Cox, renforcé par les tubes des barres de torsion. Cette technique autorisait la suppression du rôle de soutien par effet de dôme géodésique qu'avait la carrosserie de la VW. En créant la 356, Ferry décida de consever à peu près les dimensions extérieures de la Cox tout en réduisant l'empattement (de 2400 cm à 2100cm), ce qui diminuait la longueur de la zone située au centre de la voiture, partie de la carrosserie affaiblie par la présence des portières. En faisant cela, on diminuait le moment polaire d'inertie, ce qui augmentait la maniabilité.
Malheureusement cela aggravait le survirage en augmentant le porte-à-faux dû au moteur. Dix ans plus tard, Ferry Porsche changea d'avis et exigea un moment que la 911 ait un empattement plus long de 20cm pour une longueur comparable, ce qui fut impossible avec un moteur 6 cylindres en porte-à-faux à l'arrière.
Le châssis en caissons de la 356 est une réussite extraordinaire. Peut-être le meilleur châssis de ce genre jamais conçu. Par contre, il était très complexe et long à fabriquer, ce qui à l'époque n'avait guère d'importance. La main d’œuvre locale était abondante, de qualité et peu exigeante. Les problèmes de rouille ne préoccupant personne, ce châssis comportait une foule de recoins où la boue, le sel et l'humidité peuvent s'accumuler et générer la corrosion.
La carrosserie en aluminium n'avait presque aucun rôle structural, ce qui est bien différent de ce qui se passe aujourd'hui où même le pare-brise concourt à la rigidité de la voiture. Le Duralumin utilisé était d'origine suisse, léger à transporter et idéal pour une construction artisanale. La merveilleuse carrosserie dessinée par Komenda était fabriquée à la main en martelant des tôles d'aluminium sur un modèle en bois dont une réplique peut encore être vue au Musée Pfeifhofer de Gmünd. C’était un travail tellement délicat qu'un seul ouvrier était capable de le réaliser. La saga Porsche a retenu son nom: Friedrich Weber. Cet artiste avait un caractère fantasque et était porté sur la boisson. Ses séjours dans les bistrots de Gmünd paralysaient temporairement toute la production des 356. Il n'était pas question de le rudoyer car il était, et se savait indispensable.
Comme tout était fait-main, pas deux 356 "Gmünd" ne seront identiques. Non seulement, les carrosseries variaient suivant l’inspiration de Weber, mais encore les châssis présentaient des différences qui résultaient d'essais variés. Notons que les portières étaient en acier. Elles supportaient deux vitres, dont l'antérieure, plus petite, était galbée. Ce détail permet immédiatement de reconnaître une 356 "Gmünd". En 1951, lorsque l'usine Porsche, entre-temps revenue à Stuttgart, décida de se lancer dans la compétition, on réutilisa des "Gmünd" baptisées SL (Type 514) qui étaient bien plus légères et rigides que les nouvelles 356 "acier". De plus, leur carrosserie était plus aérodynamique que celle des 356 ultérieures. Le profilage était testé "a posteriori" suivant les techniques aérodynamiques de l'époque en collant des bruns de laine sur la carrosserie. Ensuite la voiture était photographiée d'un pont ou d'une autre auto. L’histoire ne dit pas si des modifications de la 356 ont résulté de ces expérimentations primitives. La forme arrondie des 356 aura une influence énorme sur toutes les productions de la firme et sera une constante du style Porsche (seule la 914 fera exception).

Musée Nelmut Pfeifhofer à Gmünd. En arrière plan, le modèle en bois sur lequel la carrosserie en aluminium était formée par martèlement. Au milieu une " Gmünd" avec sa portière typique portant deux vitres.

En fait, il aurait été impossible à Gmünd de fabriquer une voiture ayant des angles vifs. La technique du martèlement de l'aluminium permet aisément de créer des formes bulbeuses alors que les angles provoquent le déchirement des tôles. De plus les imperfections sont beaucoup plus visibles sur une carrosserie à panneaux plats. Le moteur des 356/2, d'origine VW, était différent de celui de la N°1 avec une autre chambre de combustion et une réduction de la cylindrée qui passait de 1.131cc (comme sur la Cox) à seulement 1.086cc pour rentrer dans la classe "moins de 1.1 00cc". Ferry avait donc d'emblée adopté sa 356 à un usage en compétition. Par rapport à la N° 1, il diminua la taux de compression de 7.0 à 6.5 à cause de la mauvaise qualité de l'essence dont l'indice d'octane était alors inférieur à 80 en Autriche. La nouvelle chambre de combustion résultait de travaux antérieurs réalisés pendant la guerre pour le moteur d'un Sturmboot (léger bateau militaire). Toutefois, le modèle choisi pour la 356 fut plus simple et plus économique. Il conservait toutefois une disposition en V plus marquée et de beaucoup plus grandes soupapes que sur le moteur original de la Cox. Le dispositif de commande des soupapes (toujours actionnées par de longs culbuteurs reliés à un arbre à cames central) était différent de celui utilisé sur les Cox. Les deux carburateurs de N° 1 furent conservés. Comme ce moteur tournait près de 1.000 tours/ minute plus vite que celui de la VW, il fallut modifier la vitesse de rotation de la turbine pour qu'elle ne dépasse pas 6,000 tours/minute. Bref, dès sa création, le moteur 356 présentait beaucoup de différences par rapport à celui de la Cox.

La Gmünd, ex-Otto, vue à Deauville. Le V devant le pare-brise est un lave-glace primitif relié à une bouillotte en caoutchouc. La voiture est équipée d'une banquette comme la majorité des premières Porsche.

La première présentation officielle de la 356 date du Salon International de l'Automobile de Genève en 1949. La Suisse étant à l'époque non seulement enrichie par la guerre mais aussi probablement plus germanophile que les autres nations européennes, Autriche exceptée. Le succès est instantané, le nouveau modèle est accueilli avec enthousiasme par la presse spécialisée et les commandes affluent, provenant essentiellement de pays relativement épargnés par les rigueurs de la seconde guerre mondiale: Suisse, Autriche, Suède et Egypte.
Les faiblesses des premières 356 furent le freinage et la tenue de route. Ce dernier point était manifestement un aspect alors négligé ou mal connu de l'équipe Porsche. Par contre en ce qui concerne les autres domaines, les 356 ont été d'emblée pratiquement parfaites parce qu'elles sont le résultat d'une très longue réflexion de Ferry et Ferdinand. Lorsqu'ils avaient réalisé les prototypes VW, ils avaient essayé par tous les moyens de les alléger et de diminuer leur prix. Mais en pensée, ils n'ont certainement pas pu s'empêcher de pratiquer la manœuvre inverse et d'imaginer toutes les solutions permettant de transformer cette voiture en une sportive. Lorsque la 356 a été créée, nos deux génies y pensaient depuis treize ans, ceci explique que, malgré le peu de moyens, ils aient tout de suite créé une voiture sportive exceptionnellement aboutie.

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